En 2011, un premier groupe de travail a monté un projet de recherche sur le fonds de Saint-Omer qui compte plus de mille manuscrits de l’époque médiévale au XIXe siècle, dont près de 750 antérieurs au XVIIe siècle. Il réunit, dès l’origine, des spécialistes de différents champs disciplinaires ainsi que des étudiantes et des étudiants pour examiner et exploiter de manière systématique le fonds des manuscrits médiévaux de la Bibliothèque du pays de Saint-Omer (BAPSO). Les institutions scientifiques initialement impliquées sont l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes (IRHT – CNRS, UPR 841), l’École nationale des Chartes et l’École Pratique des Hautes Études. À partir de 2014, le projet connaît un financement substantiel par l’équipEx Biblissima, afin de numériser l’ensemble des manuscrits provenant de la bibliothèque de Saint-Bertin, tant à Boulogne-sur-Mer qu’à Saint-Omer. En janvier 2022, 688 manuscrits sont disponibles en ligne sur la Bibliothèque virtuelle des manuscrits médiévaux de l’IRHT (https://bvmm.irht.cnrs.fr/).
Le projet Saint-Omer puise ses sources dans l’entreprise de catalogage des Manuscrits datés de France. La parution des deux premiers tomes de la seconde série française, consacrés à Cambrai (2001) et Laon, Saint-Quentin et Soissons (2013), a entamé la couverture de la partie septentrionale du pays. Saint-Omer offre l’opportunité d’examiner un fonds très sommairement catalogué en 1845 par H. Michelant (Catalogue général, série in-4, t. III ; supplément au t. XLIII ; Suppléments, additions et corrections publiés anonymement par T. Duchet, mais non intégrés dans le CCFr) et dont l’ampleur et l’homogénéité est particulièrement favorable aux enquêtes paléographiques et historiques (deux tiers du fonds proviennent de l’abbaye de Saint-Bertin).
En tirant les conclusions des approfondissements méthodologiques des Manuscrits datés, nous avons proposé de modifier les modalités de l’enquête historique. En réunissant une équipe pluridisciplinaire, impliquant des historiens de l’art, des textes, des bibliothèques, des archives et des institutions, mais aussi en associant des institutions d’enseignement et en accueillant des étudiantes et des étudiants durant les missions sur place, la recherche sur les manuscrits datés s’est transformée en un séminaire semestriel, où tous les manuscrits médiévaux de la BAPSO sont examinés et où se confrontent et se tissent les apports des différentes disciplines.
Le partenariat conclu avec la bibliothèque offre aux chercheurs et aux étudiants du projet un cadre extrêmement favorable et des conditions d’accueil optimales, puisque la salle de lecture patrimoniale leur est réservée pendant une semaine.
L’examen des fonds s’est ouvert sur les manuscrits repérés comme les plus anciens. Rarement datés, ces manuscrits sont de loin les plus complexes et les plus difficiles retenir dans le cadre du projet Manuscrits datés, couvrant non seulement les manuscrits explicitement datés par un colophon, mais également ceux dont les critères internes permettent de préciser la date ou l’origine.
Au cours des missions d’une semaine, le groupe a déjà examiné plus de 660 manuscrits. La moisson est riche, et ne concerne pas que les manuscrits datés. L’examen à nouveau frais des parties du fonds fait apparaitre des témoins importants pour l’histoire du scriptorium qui avaient échappé aux enquêtes antérieures, par exemple pour le groupe de manuscrits attribués au Maitre du Zacharie de Besançon. De nombreux manuscrits ont pu être datés de manière plus correcte d’après leur écriture et leur décor, avec souvent le décalage d’un siècle voire de deux par rapport aux estimations proposées par Michelant.
L’action de formation a été triple : envers les chercheurs eux-mêmes, envers les étudiants, envers le personnel de la BAPSO. La présence collégiale dans la salle patrimoniale de la bibliothèque, avec des conditions de consultation particulièrement favorables, a profondément modifié les modalités de l’échange scientifique entre collègues. S’il est en effet courant, dans le milieu académique, de solliciter l’avis d’un collègue sur un point de détail, notamment en envoyant la reproduction de la page d’un manuscrit pour lequel on désire avoir un avis, il est apparu que discuter directement devant le manuscrit conduit à un échange qui ne relève plus de l’expertise, mais de l’évaluation du poids respectifs de chaque argument et de la construction commune d’une interprétation. Dans cette opération, les spécialités de chacun se cumulent pour aboutir une conclusion.
La présence d’étudiants modifie profondément les rythmes de travail. Le temps nécessaire pour l’analyse de chaque manuscrit est augment, mais la qualité et la précision des observations en est souvent considérablement augmentée, car l’horizon d’observation est constamment élargi par des questions, toujours pertinentes et obligeant remettre sur l’ouvrage ses propres certitudes. Le temps consacré à la formation, dans un cadre favorable et une ambiance collégiale, est un investissement nécessaire et fructueux. Qu’il s’agisse des étudiants ou des personnels de la BAPSO, qui ont bénéficié d’un enseignement de 40 heures abordant tous les aspects de la matérialité du livre, les retombées seront larges. Formation étudiants de haut niveau d’une part, formation de formateurs d’autre part, puisque le personnel de la BAPSO se fera passeur des techniques et savoirs mis en œuvre durant ce séminaire.
Le projet Saint-Omer est complété par le projet spécifique : « Saint Bertin, centre culturel du VIIe au XVIIIe siècle : constitution, conservation, diffusion, utilisation du savoir », visant à l’étude de la constitution de la bibliothèque de Saint-Bertin. L’abbaye, qui est pourtant l’un des centres intellectuels majeurs du Nord de la France et dont les Annales sont l’une des sources capitales pour l’histoire de la période carolingienne, reste dans l’ombre, alors que sa bibliothèque est une ressource de premier ordre pour l’histoire intellectuelle européenne. Elle a fourni des textes de toutes natures aux savants dès le Moyen Âge et jusqu’à la philologie contemporaine, en passant par la Renaissance. Or l’histoire de la bibliothèque de Saint-Bertin est peu connue. Certes un catalogue médiéval a déjà été repéré, ainsi qu’un catalogue du XVIIIe siècle, mais l’examen systématique des manuscrits provenant de l’abbaye montre au moins trois phases de structuration de la bibliothèque. Une première phase voit l’apposition par un bibliothécaire d’un ex-libris rubriqué au XIIe siècle. Une seconde, le marquage presque systématique des volumes par un ex-libris du XIVe siècle de la forme « De libraria Sancti Bertini » ainsi que la confection d’une table du volume. Au XVe siècle, une autre main ajoute l’incipit-repère initial (premiers mots du 2e feuillet du manuscrit). Si cette indication n’est d’aucune utilité sur le manuscrit lui-même, elle démontre qu’un catalogue complet et détaillé a été confectionné ce moment-là. Il s’agit vraisemblablement de celui dont le tome 2 a péri dans les flammes qui ont ravagé les archives départementales d’Arras en juillet 1915 (ancienne cote : AD Pas-de-Calais, ms. 27). Une autre campagne de catalogage a conduit à la rédaction au début du XVIIIe siècle, d’un index alphabétique, conservé à la BAPSO (Saint-Omer 813) associé à un inventaire complet des manuscrits de la bibliothèque, récemment redécouvert à Besançon (Besançon 1106).
Pour explorer cette richesse, mesurer les modes et dynamiques d’acquisition, les rythmes de copie, les voies d’approvisionnement, et identifier les traces laissées par les moines et leurs visiteurs, ont été édités, analysés et numérisés les catalogues de l’abbaye ainsi que 577 manuscrits médiévaux et du XVIe siècle provenant de la bibliothèque de Saint-Bertin, et aujourd’hui conservés à la BAPSO et à la bibliothèque municipale de Boulogne-sur-Mer. Cette numérisation permet non seulement la reconstitution virtuelle d’une bibliothèque divisée, mais aussi l’étude approfondie de la bibliothèque médiévale et des pratiques intellectuelles des humanistes jusqu’au XVIe siècle.
Outre l’édition en ligne du catalogue des manuscrits de Saint-Bertin, le double programme de recherche donnera lieu à la publication d’un catalogue des manuscrits datés de Saint-Omer. Il favorise d’autres exploitations scientifiques comme le repérage des manuscrits enluminés, ou le catalogage des manuscrits liturgiques. Sarah Staats a pu profiter de l’expertise du groupe de travail pour publier Le catalogue médiéval de l’abbaye cistercienne de Clairmarais et les manuscrits conservés, Paris, CNRS éd., 2016 (Documents, études et répertoires, 87). Steven Livesey s’est chargé quant à lui des manuscrits scientifiques (Science in the Monastery. Texts. Manuscripts and Learning at Saint-Bertin, Turnhout, Brepols, 2020 (Bibliologia, 55)).
Concernant les manuscrits sur papier, une attention toute particulière est portée à leurs filigranes, qui ont fait l’objet de photographies en lumière naturelle pour 67 manuscrits. Ces dernières ont été mises en ligne en décembre 2021. Depuis 2019, l’équipe s’est associée à celle de Stuttgart pour étudier les filigranes des manuscrits écrits sur papier et contribuer à l’alimentation d’un système de description et d'analyse des filigranes, le WZIS-Wasserzeichen-Informationssystem. Une formation a été proposée à l’IRHT par Erwin Frauenknecht (LA-BW Stuttgart) et Maria Stieglecker (ÖAW Vienne) les 16 et 17 décembre 2021. Pour numériser les filigranes du papier, l’IRHT s’est doté en septembre 2021 d'une caméra à infra-rouge testée à la BAPSO.
Outre ces activités scientifiques, l’équipe a contribué à des activités de valorisations du patrimoine auprès d’un large public avec une école d’été organisée en août 2015, une exposition intitulée Jeux de mains : portraits de scribes en septembre-décembre 2015, la participation aux Journées du patrimoine de Dominique Stutzmann en septembre 2021.
Lors des missions, ont déjà été vus plus de 660 manuscrits sur les 750 du Moyen Âge et du XVIe siècle conservés à la BAPSO, sachant qu’en moyenne près de 50 manuscrits peuvent être étudiés en une semaine par une équipe de dix personnes. La mission de septembre 2021 s’est accompagnée de l’installation à la bibliothèque de la caméra infra-rouge pour numériser les filigranes avec une formation des membres de l’équipe et du personnel de la BAPSO à son utilisation. Les filigranes de cinq manuscrits ont pu alors être numérisés et leurs photographies ont été mises en ligne dans la foulée. Malgré le contexte sanitaire des deux années dernières, l’accueil des étudiants s’est poursuivi avec la venue, lors de la mission de mars 2021, d’une étudiante de Master de l’université de Lille, Anne-Frédérique Provou. Lors de la mission de mars 2022, un stage de formation à la collation des manuscrits sur papier a été proposé. Sont alors venus
- deux étudiantes de l'université Paris 1 (Aurore Artignan et Julie Briot),
-un étudiant de l'université de Boulogne (Corentin Sailly)
-quatre étudiants de l'université de Lille (Hugo Dehongher, Thibault Fournier, Léo Trotin et Gabrielle Verlyck),
- une doctorante de l'université de Poitiers (Blanche Lagrange).
Le catalogue des manuscrits, au format xml-TEI, n’est pas encore achevé, tant pour sa couverture (puisque tous les manuscrits n'ont pas encore été vus) que pour son homogénéité. Il n'a pas vocation à être un catalogue parfait et définitif. Il représente un état du travail avec des notices progressivement perfectionnées. Le choix est fait d'y donner accès malgré son état d’incomplétude.
Les différentes sources d'informations sur les manuscrits sont les suivantes :
- le catalogue du CGM (Michelant) fourni par la BNF au format EAD, converti au format xml-TEI par Laura Lebarbey ;
- le supplément et les corrections de T. Duchet, également saisi par Laura Lebarbey ;
- les travaux de Sarah Staats, notamment son article intitulé : « A partial reconstruction of Saint-Bertin’s late-eleventh-century legendary: St-Omer 715, vol. 1 and its membra disiecta », Scriptorium, 52-2, 1998, . 349-364 et son livre de 2016 (Le catalogue médiéval de l’abbaye cistercienne de Clairmarais et les manuscrits conservés) ;
- les notices de la base de données de Steven Livesey et son livre de 2020 (Science in the Monastery. Texts. Manuscripts and Learning at Saint-Bertin) ;
- les 329 notices de Rémy Cordonnier sur le site de la BAPSO (https://bibliotheque-numerique.bibliotheque-agglo-stomer.fr/manuscrits) ;
- la bibliographie sur les manuscrits de Saint-Omer (sous Zotero : https://www.zotero.org/groups/61641/saint-omer), initialement constituée par Ludwig Zoré et progressivement accrue.
Dans le catalogue en ligne, les données sur les textes sont encore assez légères, puisqu’est étudié sur place ce qu'il est difficile d'analyser sur microfilm ou sur numérisation, à savoir le décor, la distinction des mains, l'identité de l’écriture entre le texte et le ou les ex-libris, la collation matérielle et le relevé des filigranes (sur frottis ou par photographie). L’étude du contenu des manuscrits vient ensuite à partir de la bibliographie.
A partir de ces données, Laura Lebarbey a mené une première phase de nettoyage et de fusion des informations pour les manuscrits cotés de 1 à 200. Ekatherina Novokhatko a procédé ensuite à l'uniformisation des mentions d'origine et de provenance, et en a complété le relevé à partir des manuscrits numérisés. Elle a continué à travailler sur ces questions pour son mémoire de Master, tout en poursuivant le travail sur les notices de manuscrits jusqu'au début du mois d’août 2016. La relève a été prise par Sébastien Hamel et Marlène Helias-Baron qui ont nettoyé et complété les notices des autres manuscrits audomarois en fonction des informations dont ils disposaient.
Marjorie Chatelus et Angela Cossu ont édité et indexé l’index alphabétique des manuscrits de la bibliothèque du XVIIIe siècle contenu dans le Saint-Omer, BAPSO, ms. 813. Dominique Stutzmann s’est occupé de l'édition et de l'étude approfondie du catalogue du XIIe siècle, dont l'édition avait été amorcée par Marjorie Chatelus. Anastasia Shapovalova a retrouvé dans les inventaires révolutionnaires une liste des manuscrits de Saint-Bertin à la Révolution, sans doute fondée sur un catalogue présent à Saint-Bertin, car il donne le contenu de la bibliothèque dans l'ordre des cotes, ce qui permet de savoir ce qui a été perdu et/ou n'était pas décrit dans l’index alphabétique. Cet inventaire sommaire révolutionnaire a été transcrit et édité par Alessia Marzo. L’inventaire du XVIIIe siècle conservé à Besançon vient d’être redécouvert et fera l’objet d’une mise en ligne prochainement, en relation avec le contenu de son index déjà disponible.